Airian, le royaume éternel ou la splendeur des hauteurs prenait une autre signification. Cela faisait si longtemps qu'elle n'était pas retournée en celle qui est sa patrie... Des années déjà s'étaient écoulées dans le sablier, moqueuses et lestes. Tout défilait à présent, sans pitié, insufflant des changements ou souvent le retour en arrière était impossible. Il en était pourtant ainsi, de telle manière que les dirigeants allaient et venaient sans cesse, se succédant par leur avidité de pouvoir et de la gloire qui écrirait pour toujours leurs noms dans l'Histoire. La kabbaliste avait longuement prêté oreille à divers ragots afin de s'informer et avait ouï dire que désormais c'était l'ancienne conseillère, Severia Palenix, qui était régente... Une femme sur le trône, celait faisait bien longtemps que ce n'était arrivé, ce qui pouvait susciter l'engouement de certains. C'était un changement profond de méthodes, qui n'était pas forcément de bonne augure, car l'excès de pouvoir en peu de temps conduisait trop souvent à la mégalomanie... ou à la folie la plus pure.
Connaissant parfaitement bien les routes, Syradis savait qu'elle approchait des portes de Gladilan. Pressant le pas pour mettre fin à ce voyage qui s'éternisait, elle fut soudainement surprise par des bruits qui lui parvinrent au loin, lointains mais persistants. Accélérant la cadence, la demoiselle sortit enfin du bosquet dans lequel elle se trouvait, rejoignant de la sorte la route principale et distinguant plus aisément ce qui se passait. Des cris... Au moins une femme et deux enfants qui semblaient crier à l'aide. Son bandeau ne lui permettait pas de voir puisqu'il lui voilait les yeux, mais la panique était aisément perceptible dans l'air chargé de tension. Lorsqu'enfin les trois la virent approcher, ils affichèrent une expression de déception car une aveugle ne pourrait clairement pas les aider... puis repartirent se cacher derrière des arbustes.
Cependant en se guidant par les voix elle s'approcha et heurta quelque chose de dur et imposant. De fait à moins d'un kilomètre de la cité, un carrosse semblait avoir été attaqué par des brigands, gisant renversé sur un des côté de la route. Réalisant alors qu'il n'y avait plus de bruits d'affrontements, ce qui laissait présager que les agresseurs étaient partis, Syradis tendit les bras pour rechercher à tâtons la porte de ce véhicule aux roues brisées. Rapidement une petite main s'accrocha alors à sa robe blanche tandis qu'une fillette d'environs trois ans, peu rassurée, tentait naturellement de trouver asile en des bras féminins qui lui apparaissaient comme rassurants et protecteurs. Échangeant quelques paroles de réconfort afin de calmer la petite, elle demanda si il y avait quelqu'un pour s'assurer qu'il n'y avait personne d'autre à l'intérieur. Ce fut là qu'une supplique de la petite éclaircit quelques zones d'ombre...
- Ma maman elle a bobo et elle m'a dit d'être sage en restant là dedans...
- Je ne peux pas voir... tu veux bien me guider jusqu'à elle?
La petite s'exécuta et lui donna les directions nécessaires, ce qui lui permit de rejoindre rapidement les autres membres de la famille. La mère était blessée à la tête et lui réserva un accueil loin d'être agréable, ce qu'elle mit aisément sur le compte du désespoir. S'en suivit donc un échange qui fut une manière de mesurer des forces... entre l'altruisme désintéressé et l'arrogance incrédule.
- Que faites-vous, infirme que vous êtes ! Mon enfant était en sécurité !!
- Ne vous inquiétez pas, je la protège!
- Vous n'en êtes pas capable, rendez la moi !
- Occupez vous de vos deux autres enfants, Madame. Vous n'avez qu'une seule paire de bras que je sache, et de plus vous êtes blessée. Je la protègerai de ma vie, je le jure sur ma condition de magicienne.
- Ma... gicienne??
- Allez vous en, fuyez et mettez vous à l'abri avec eux, maintenant !
Elle n'eut pas le temps de protester véhémentement car des bruits se firent à nouveau entendre, ce qui eut raison de ses réticences... Elle s'enfuit alors en prenant ses deux petits garçons par la main et disparut dans les sous bois.
De son côté, visiblement le père de famille était en train d'être assailli par ses agresseurs et cela empirerait sûrement au rang de tragédie si personne ne faisait rien. Détestant par dessus tout la violence, Syradis ne pouvait pas rester de marbre, malgré la responsabilité de protéger la petite fille. S'adressant donc à cette dernière, elle était décidée à faire de sa faiblesse une force. La petite blonde aux joues rosées qu'elle avait entre les bras allait l'aider... Ou alors elles mourraient toutes les deux. Les brigands approchaient à grand pas, elle les entendait.
- On dirait bien que tu vas à nouveau être mes yeux, ma chérie...