Passant la porte de l’auberge, je posai un regard de glace sur les gens présents dans l’établissement. La chaleur avait depuis longtemps quitté mon corps et cette espèce de sang de glace qui coulait dans mes veines me privait de la retrouver un jour. Chaque jour de cette existence certes prolongée par une expérience magique qui m’avait coûté ma place au sein des magiciens les plus prometteurs, me reléguant au vulgaire rang d’alchimiste, était un pas de plus vers une lente agonie. La souffrance que je pouvais éprouver par moments aurait rendu n’importe qui de sain d’esprit complètement fou… Mais à mon esprit déjà rongé par cette dernière, cela n’avait pas fait grand changement. Mais bon, un fou de plus ou de moins, aussi dangereux soit-il, ne changeait pas grand-chose à ce monde en perdition qu’était Érade. Plutôt que de jouer dans la cour d’une personne, j’avais décidé de jouer dans toutes les cours, vendant mes services et mes armes au plus offrant. Dans mon ancienne vie, quand j’étais encore un puissant pratiquant des arcanes, j’avais également mit mes services à la disposition du meilleur payeur alors pourquoi changer une formule gagnante? C’eut été aussi grotesque que stupide.

Toujours fut-il que si j’étais dans cette auberge d’un village séparant en quelque sorte le désert dans lequel je vivais de la civilisation, c’était pour une bonne raison. Il me fallait de nouveaux cobayes pour tester certaines expériences et bien qu’administré par la couronne, il s’avéra que la figure d’autorité de ce village préférait l’argent au maintien des édits et décrets royaux. Je pouvais donc à loisir me pointer ici et ramener avec moi une poignée d’ivrognes qui hélas avaient la fâcheuse tendance de disparaître… Dans un monde déchiré par la guerre et où toute sorte de puissances se livrent une guerre sans merci, même un enlèvement finissait par tomber sous le registre de la banalité… Faisant un signe de tête à l’aubergiste, qui y répondit par un sourire mauvais (je le débarrassais des mauvais payeurs en échange du paiement de leur dette), il m’indiqua une table au fond de la salle d’où je pourrais observer ceux et celles qui deviendraient mes futures sujets tests. Nous avions convenu d’un ensemble de signes pour savoir qui était qui et qui donc j’étais autorisé à ramener avec moi… Et je devais admettre que ce système, aussi simple soit-il, avait à tout le moins le mérite de faire dans le discret. Après tout, il fallait que je puisse préparer le terrain et donc ne pas alarmer mes victimes… Sinon c’eut été des précautions supplémentaires à prendre et je n’étais pas homme à être patient sur un nombre impressionnant de choses… Les contretemps entre autre…

Le demi-sourire qui avait commencé à se dessiner sur mon visage disparu avec un pressentiment de nature plus ou moins neutre. Mon instinct me le disait… Non, me le hurlait : cette visite dans cette auberge n’allait pas se passer comme elle se passait d’habitude, de cela j’en étais plus que convaincu. Il y avait quelque chose dans l’ambiance de l’endroit qui laissait présager ce genre de choses. Une rencontre. Avec quelqu’un de présent actuellement ou non. Le déclencheur? Ma table. Une personne viendrait s’asseoir à cette table, ma table et la rencontre débuterait. Oh non, n’allons pas penser que j’étais devin ou quoi que ce soit. C’était juste que dans mon métier, quand vous tombez sur des gens ayant une attitude plutôt hostile parce que vous avez enlevé et tué un membre X de son entourage ou encore quand un client vient à soi, ce sont des choses que tout bon homme d’affaire se doit de pouvoir ressentir, de devoir pressentir. Il me suffisait d’attendre pour avoir le fin mot de l’histoire qui sous peu allait s’écrire… Et je me doutais bien que la teneur du récit ne serait pas banale…

Tiens, un massacre. C’était là une chose bien insignifiante. Si peu de style et beaucoup de bruit pour rien… Vraiment certaines personnes aimaient se prendre pour d’autres… Oui j’avais entendu parler de cet homme et s’il s’attendait à me faire réagir, il se trompait de personne. De la glace coulait désormais dans mes veines et il fallait plus que cela pour me faire sortir de mes gonds… Écoutant par deux fois un début de tirade avant d’avoir le reste, je ne bronchai pas, l’écoutant de l’air de ceux qui sont désintéressé. Quand il eu fini son insignifiant baratin, ce fut à mon tour de prendre la parole.

« Comme j’aurais pu prendre le même contrat pour ta tête et débarrasser le monde de ta présence. Mais bon, nous sommes entre professionnel donc j’ose espérer que tu vas arrêter avec les provocations et les vantardises… Car j’ai une offre à te faire. J’ai l’impression que tu vas adorer… Après tout, faire couler le sang est ta spécialité non? Quant à la bière, je te réponds pourquoi pas. Il faut bien vivre et vivre agréablement. »

Fis-je savoir non sans me départir de mon ton froid et neutre. Il y avait un certain temps déjà que je me demandais quand je verrais apparaître ce personnage. Cela tombait bien car j’avais besoin de ses services pour une opération particulière… Et la paye serait plus que généreuse, de cela il pouvait en être bien certain. Dommage qu’il ne connaissait que mon faciès sur les avis de recherche, eut-il connu ma réputation, il aurait changé de discours bien assez tôt… Si on redoutait la fureur écarlate pour ses aptitudes martiales, on redoutait le marchand de mort pour sa propension marquée à faire disparaître les gens de son entourage qui avait fait l’erreur de lui déplaire. Et dans ma notion d’entourage, toute personne suffisamment près de moi pouvait être inclus dans la balance. Le tavernier. La patrouille de milice dehors. Le maire de ce village… Les gens sur qui je posais le regard, ceux à qui j’adressais un minimum d’attention au fond. Et la liste était longue, très longue… Mais bon, jouer à comparer des réputations n’était pas à l’ordre du jour.

« Bien sûr, il va de soi que si tu décide de ton propre chef de ramener plus que prévu, tu seras payée en conséquence. J’aime les mercenaires qui comme moi ont le sens de l’initiative… Dans notre métier, il faut savoir se servir et de ses poings et de sa tête… Sinon on ne vit pas très vieux et encore moins longtemps. Mais revenons-en aux affaires. Si cela te dit, je t’enverrais dans un village non loin d’ici pour prélever certains spécimens humanoïdes pour des expériences alchimiques. Aucune règle sur qui doit vivre ou mourir, du moment que tu me ramène au bas mot vingt spécimens. Massacre le reste et brûle l’endroit jusqu’à ses fondations si tu le désires, cela ne me dérange en rien. Petite précision par contre. Pour une expérience spécifique, j’ai besoin que tu me rapportes celle que tu jugeras comme la plus belle de l’endroit et celui que tu jugeras comme le plus fort. Autrement dit, les deux meilleurs spécimens du village doivent être ramenés vivants et en santé. C’est un marché honnête, un travail qui paie bien et le meilleur dans tout cela c’est que tu n’as pas de réelles contraintes. Une offre en or, tu ne crois pas? »

Ma proposition faite, je le regardai ensuite en face, attendant une réaction de sa part. Évidemment, j’avais étudié mes options et si j’avais décidé de faire appel à lui c’était oui pour que le travail se fasse mais cet abruti était loin de se douter de ce qu’il y avait réellement au fond de ma pensée. Les associés de Ranvor Neladren n’étaient jamais n’importe qui… Et il y avait une excellente raison pour cela…

« Bien… Et pendant que j’y pense… Si tu trouves quelque chose que tu juges intéressant de ramener, surtout ne t’en prive pas. Je ne suis pas stupide, je ne t’envoie pas en mission n’importe où et uniquement pour des sujets tests. J’ai longuement étudié ce qui circule à ton sujet, fureur écarlate… Et je pense que j’ai de quoi te garder occupé longtemps avec les poches bien pleines. Tu possèdes des aptitudes que moi je n’ai pas… Et tu ouvres bien des portes à mes projets. Je suis peut-être un homme malhonnête par nature… Mais quand Ranvor Neladren prend un engagement, la mort elle-même ne saura m’en départir sans le consentement des personnes impliquées. Et pour ton cas tout particulier, si tu me ramènes ce que je cherche… Ce sera le début d’une belle et fructueuse alliance tant pour toi que pour moi : du sang, des trippes et du fric pour toi, des cobayes, une belle liste d’épicerie et de nouveaux projets pour moi… Je peux te payer une fortune, jamais les fonds ne me manqueront tant que je serai le marchand de mort… »

Et c’était loin d’être faux. J’avais à ma disposition une fortune colossale qui se trouvait en un sens à ne pas servir à grand-chose puisqu’on me payait rubis sur l’ongle pour mes services et que les sommes dépensées finissaient par être dépassées par ma paie… Et ayant besoin de très peu moi-même, il fallait avouer que j’en avais plus que je n’en avais besoin. Payer cet homme serait une dépense négligeable avec les profits que généreraient les avancées réalisées grâce aux captures qu’il ferait. Évidemment, cette brute épaisse ne pouvait même pas imaginer une telle chose, c’était le genre d’animal tout juste bon à tuer. Cependant, des gens comme moi, fins stratèges et planificateurs avaient souvent pour ne pas dire toujours besoin de gros bras pour faire le travail trop manuel. Oh à leurs yeux nous étions faibles et souvent insignifiants… Mais c’était là l’apanage de ce genre de sauvages qui pensent que la force fait tout… Les inconscients…

Par exemple, le fait que je lui demande l’homme le plus fort et la femme la plus belle, ce n’était pas pour un caprice quelconque. Il y avait une raison! En allant chercher les critères attendus chez les deux sexes, j’aurais alors du matériel de premier choix pour tenter de trouver comment en faire de belles bombes vivantes. Une petite rune ici, de la poudre là et entre les deux pas mal de science pour transformer l’ensemble en un beau pétard! Vous vous imaginez sans doute ce qu’une telle invention pourrait faire? La belle courtisane s’approche du roi insouciant et BANG! Plus de courtisane, plus de roi et plus de toit! Faire des bombes humaines! Ça c’était quelque chose de drôle! Évidemment j’étais LOIN d’en avoir terminé avec mes recherche mais je voulais voir s’il y avait une corrélation entre l’anatomie d’une personne dite belle et cette beauté (et son équivalent masculin) ou si le procédé pouvait être appliqué à absolument tout le monde…

Ceci dit, il fallait que je cesse de me perdre dans les méandres de mon esprit sous peine de perdre mon attention en dehors des murs de ma tête pleine d’idées du genre. Gardant toujours mon attention sur la brute en face de moi, j’attendais de voir si la promesse de richesses futures et de contrats à la pelle avait suscité son intérêt : qui pouvait savoir si de un l’intérêt était constant chez ces gens là et de deux s’ils savaient flairer une affaire en or aussi facilement que n’importe quelle personne normalement constituée?

« Dois-je commencer la rédaction des bases d’un… Contrat d’exclusivité ou est-ce encore trop tôt pour se prononcer? Si cela te chante, je peux également te laisser armes et armures qui encombrent ma cave, objets abandonnés par leurs infortunés possesseurs qui finirent sujets d’expérience… »