L'errance d'Amayyas débutait.
Passablement désorienté, il goûtait cette liberté nouvelle à la saveur amer.
Cela faisait quelques jours déjà qu'il avait quitté les siens et la sensation de manque était déjà présente. Il devait cependant ne pas en faire cas et avancer, tout retour en arrière lui était désormais impossible.

Il montait un fier étalon bai et ses fontes étaient remplies pour le voyage. Il l'avait préparé en secret, dès qu'il sut que l'exil était inéluctable ; les habitants du bourg en auraient pris ombrage s'ils l'avaient su. De ses possessions propres, il conservait ainsi l'essentiel : ses armes, sa cornemuse, quelques vêtements de rechange, quelques outils et toute sa fortune dans une bourse de cuir noir.

Il n'avait pas d'idée précise quant à sa destination mais avançait nonobstant vers le nord et le royaume d'Amélian, dont il franchit la frontière en milieu de journée.
Passés les contreforts montagneux, le paysage s'étalait devant lui, succession de forêts et de prairies herbeuses, plantées ça et là d'une construction humaine entourée de terres cultivées. Cela le changeait de ses montagnes escarpées.
Il s'arrêta peu après au bord d'un ruisseau afin de se restaurer un moment, puis repartit, menant sa monture nonchalamment sur la piste. Il avait croisé bien peu de monde depuis son départ, ce qui n'était pas pour lui déplaire, au moins personne ne lui posait de questions.
Enfin, le soleil était bien bas sur l'horizon quand il avisa un bosquet d'arbres touffus un peu à l'écart du chemin, sur lequel il jeta son dévolu pour passer la nuit. Calmement, il inspecta les lieux, avant de mettre à l'aise sa monture et de s'occuper du bivouac.

En premier lieu, Amayyas s'occupa de sa monture.
Il lui retira sa selle et son arnachement, ne lui laissant que la longe. Puis il le pansa et le laissa paître alentours.
La campagne lui avait semblée calme et relativement sûre, aussi, il se dit qu'il pourrait faire du feu sans problème.
La corvée de bois faite, il alluma un petit foyer. Il fouilla dans ses fontes pour trouver de quoi manger, agrémenté de quelques baies et racines trouvées lors de son exploration.
La nuit était tombée quand il entama son repas.

Tandis qu'il mangeait, Amayyas méditait sur les récents évenements, qui l'avaient jeté sur la route. Certes, ça n'était pas pour lui déplaire complètement, il y songeait depuis un certain temps, mais pas de cette manière là. Bien-sûr, il n'était pas brouillé avec sa propre famille, mais les revoir désormais serait presque impossible, à moins que l'un d'eux ne s'aventure hors des frontières d'Airian, ce qui était fort peu probable. Cependant, d'un naturel optimiste, il préférait penser au futur et sa vie à présent.

Son repas terminé, il rangea ses effets, rajouta du bois dans le feu et sorti de son étui sa cornemuse.
Une fois montée et accordée, il entama une douce ballade nostalgique.
A un moment, le cheval broncha. Sans doute un animal en chasse passait à proximité. il ne s'en préoccupa pas. Il était un peu comme en transe, perdu dans les méandres de sa musique.

[HRP : pas de soucis, je suis patient ;) et ne suis pas le dernier à blâmer pour cela ]




La musique habitait tout son être. Issue du plus profond de ses entrailles et de son coeur, aux limites de l'instinct, puisant dans les racines-même de ses origines, à une mémoire qui n'était plus la sienne, tellement elle remontait les méandres du temps.

Sans que ce ne soit volontaire, sans doute une part inconsciente de ses pouvoirs de Chimère, son esprit s'ouvrait à la vie qui l'environnait, s'unissant à elle dans une communion des sens. Il ne distinguait pas précisément les consciences, animales ou végétales, mais plutôt un grand fourmillement de vie, avec des tâches de lumière plus ou moins radieuses et une multitude de sons qui s'accordaient au rythme de la mélopée issue de l'instrument.
Il était alors conscient de la présence de la louve, irradiant même d'une lueur particulière, mais, comme dans un rêve, il ne contrôlait pas cette conscience.

Une saute de vent le tira soudain de sa transe, faisant cesser le charme du même coup et s'évanouir le souvenir , ne laissant qu'une impression de béatitude au jeune homme, sans qu'il ne puisse retenir le rêve.
Enfin, les dernières notes moururent dans le silence nocturne. A peine prolongé par l'echo.

C'est à ce moment-là que sa monture broncha à nouveau. Amayyas posa son instrument et se mit en devoir de rajouter un peu de bois sur le foyer. Du coin de l'oeil, il perçut un mouvement. Un rien qu'il n'aurait peut-être même pas dû voir, en temps normal ... avant.
Il réfléchit à l'atitude à adopter : mettre en fuite le prédateur (aucun autre animal sauvage n'approcherait de la sorte), ou attendre qu'il se montre afin de savoir à quoi il a affaire.
Prudent, il opta pour la seconde option. Il vérifia ses armes et s'assura que sa monture ne serait pas trop exposée en cas d'attaque, puis s'installa pour attendre.

Aux aguets, tendu à l'extrême, Amayyas guettait le moindre mouvement, le moindre son, qui puisse révéler la position de son visiteur nocturne. Ainsi posté, l'instinct du tigre qui sommeillait en lui l'investit totalement.
De longues secondes interminables s'écoulèrent.

Soudain, alors qu'il s'attendait à une rencontre physique, une voix résonna dans sa tête, le prenant singulièrement au dépourvu.

C'était la première fois qu'il était confronté à la réalité de la télépathie. Bien que connaissant l'existence d'un tel pouvoir, il le tenait, comme nombreux le pensent avant d'en faire l'expérience, pour légende. D'autant plus que là d'où il venait, la magie, même si elle n'était pas combattue, était plutôt rare et le fait de quelques sorciers et spécialistes dûment répertoriés.

La voix était féminine, douce et mélodieuse, malgré un accent étrange et un semblant d'hésitation dans le ton. Le phrasé lui était assez inhabituel pour un humain.
Passé le premier instant de saisissement, Amayyas se détendit légèrement, comme l'inconnue ne semblait pas hostile, assez étonné d'avoir trouvé un auditoire intéressé dans cette campagne déserte.
Comme il s'apprêtait à répondre, il eut une hésitation en voyant sortir partiellement des fourrés la louve argentée. Fine et racée, elle avait un port royal, l'oeil curieux et interrogateur.
* sans doute l'animal de compagnie de la femme ... ce doit être quelqu'un de haute naissance pour posséder un tel compagnon ..."
Le cheval broncha une fois de plus, mais comme la louve n'était pas dans son champ de vue, il n'en fit pas plus.
Amayyas était dans l'attente de voir apparaître la propriétaire de la voix, lorsqu'elle s'exprima à nouveau. Et cette fois-ci, tous ses sens lui indiquèrent, contre toute logique, que c'était la louve qui s'adressait à lui. Il ne put réprimer une exclamation, avant de se ressaisir promptement et de répondre, de vive-voix :

- ...! Non,... non, non, bien sûr que non, je ne te veux pas de mal ... maîtresse louve ... je suis simplement un peu surpris ... désolé si mon attitude était hostile, j'ai cru à un danger, dans ces plaines que je ne connais pas... Euh, merci d'apprécier ma musique, c'est ... singulier...

Comme elle sortait des fourrés, visiblement moins effarouchée, il put en apprécier la stature et l'état plus à loisir. C'était une belle bête.
La monture d'Amayyas montrait quelques signes de nervosité. Pas étonnant à si peu de distance du prédateur.

La louve s'exprima à nouveau.
Son discours refroidit un peu l'humeur d'Amayyas : apparemment, le tutoiement la gênait, alors que pour lui c'était tout naturel, le vouvoiement étant réservé aux gens de la haute noblesse ; elle le prenait pour un humain, ce qui, bien que froissant quelque peu son amour-propre, le rassurait d'une certaine manière quant à la trahison de ses origines ... elfes ; par deux fois, elle critiquait sa façon de parler, qui se voulait pourtant tout à fait correcte, selon ses principes d'éducation, ce qui l'amena à s'interroger sur ses futures rencontres et la manière d'aborder les autochtones.

Quand enfin, elle se fut présentée, il put commencer à établir quelques hypothèses sur celle qui s'adressait à lui ainsi.
* Ce n'est pas une simple louve, ça non, je parierais pour une femme noble, ensorcelée sous cette forme ... Quoique, si elle était noble, elle aurait décliné son rang ... à moins qu'elle ne soit déjà plus tout à fait humaine... qui sait depuis combien de temps elle erre, l'esprit du loup l'a peut-être absorbée ... *

Il esquissa un sourire et lui répondit sans se départir, avec une pointe d'humour pinçant, guettant ses réactions du coin de l'oeil :

- Amayyas, de la maison Nerea O Sedoa, maîtresse Polgara. Non point chevalier de quelque roi que ce soit, simplement aventurier en quête de son destin.

* Loin de mes montagnes natales, je doute qu'on ait eu vent de mon histoire, je ne risque rien à m'identifier, ... mais inutile de préciser les détails ... *

- Je me rends pour cela vers la capitale de ce royaume où, m'a-t-on dit, les possibilités d'embauche sont nombreuses. Ce genre de notion t'es surement inconnue et je t'envie de ne pas connaître ces préoccupations bassements matérielles...

Amayyas sourit à sa remarque :
- Non, je n'ai rien fait encore en ce bas monde pour mériter l'éloge des bardes. Cela reste donc à venir ... peut-être ...

Quand la louve eut exposé ses connaissances de la capitale du royaume, les soupçons quant à sa situation se firent plus sûrs. Dévoilait-elle intentionnellement quelques bribes de son histoire ? En tout cas, cela était suffisant pour Amayyas qui put en tirer certaines conclusions. Il garda pour lui ses réflexions mais ne la considérait déjà plus vraiment comme un animal.

- Bah, la richesse, c'est une chose. Certes, cela donne du pouvoir, mais c'est éphémère. Je préfère me couvrir de gloire au combat, laisser une empreinte impérissable, que l'on chante mon histoire dans mille ans encore et qu'elle fasse briller les yeux d'émotion. De cela je serais fier. On ne chante pas les louanges de celui qui a amassé des fortunes, mais bien de celui qui a amassé les exploits.

- Mais bon, j'en suis fort loin, n'est-ce pas ?
La question ne s'adressait pas à Polgara particulièrement, elle était plutôt lancée là, en guise de conclusion.

Après quelques moment d'un silence commun, La louve posa encore une question, bien pragmatique celle-ci.
Il lui répondit, sans condescendance.

- Le feu. Il nous sert à nous réchauffer, à cuire nos aliments et tout un tas d'autres petites choses de notre quotidien. Tu as certainement dû te rendre compte depuis que tu t'es rapprochée qu'il est agréable. Il faut juste faire attention à ne pas s'en approcher de trop près : sa morsure est très douloureuse.